urbanisme

Pour un droit de veto de l’urbaniste

Pour un droit de veto de l’urbaniste

13 mars 2018

– 4 min de lecture

Alain Saublet

L’une des principales missions de l’urbaniste est de favoriser la souplesse d’adaptation du système d’information avec des moyens simples, peu coûteux et non intrusifs, tout en apportant une aide concrète aux équipes de projet. Traditionnellement, l’urbaniste est considéré comme un empêcheur de tourner en rond. Il est perçu comme l’auteur de chartes et de normes théoriques, que personne n’applique vraiment. Il en résulte un certain désenchantement, et un fort turn-over parmi la population des urbanistes.

Sans pour autant renier cette mission, cette tribune milite pour un urbanisme opérationnel, qui doit favoriser la souplesse d’adaptation du S.I. avec des moyens simples, peu coûteux et non intrusifs, tout en apportant une aide concrète aux équipes de projet. Exemple concret : le choix de progiciel.

Les deux missions de l’urbaniste

Pour définir le travail de l’urbaniste et ses enjeux, on a souvent recours à la métaphore de la ville. Comparaison  pertinente, même si les contraintes du système d’information sont plus ou moins faciles à contourner. En effet, s’il est plus facile d’augmenter le débit d’une ligne réseau que d’élargir une rue, les erreurs et plus encore le manque d’anticipation se révèlent souvent très coûteux… des années après.

Penser l’organisation du territoire, donc. Appliqué au SI, le problème revient à découper celui-ci en blocs à la fois suffisamment autonomes, reliés entre eux de manière efficiente, et en mutualisant au mieux les composants. Si la problématique est relativement simple pour les composants techniques – les SGBD, les middleware, le poste de travail et ses applications de bureautique – , plusieurs approches ont cours pour déterminer les frontières applicatives : par fonction de l’entreprise, par service (au sens SOA), par domaines d’objets…

Soyons humbles : il n’existe pas de réponse toute faite. Pour prendre le seul exemple du pilotage d’entreprise, il peut être judicieux soit de l’isoler, afin de mutualiser les outils d’analyse et de reporting, soit de l’intégrer aux systèmes opérationnels (ERP…) pour faciliter le processus d’analyse de bout en bout, et éviter d’alimenter de coûteux datawarehouses. Sur ce point, le discours des éditeurs, variant au gré des alliances, n’éclaire pas vraiment les choix.

Pour noble et vitale qu’elle soit, cette première mission de l’urbaniste rencontre des limites d’application : tout d’abord, les projets de refonte significative du SI étant rares, le chantier est perpétuel et les victoires rapides demeurent exceptionnelles. Par ailleurs, les chartes d’urbanisme sont difficilement compatibles avec la mise en oeuvre de progiciels, pour une raison bien simple : l’objectif de l’éditeur est de pouvoir mutualiser son offre vis-à-vis de clients de métiers différents, d’organisations et de stratégies différentes.

Un garde-fou : les points de précaution

A notre point de vue, l’urbaniste doit assurer une seconde mission : veiller à ce que les équipes de projet respectent le minimum de règles de conception qui permettront de faire évoluer la solution facilement, sans paramétrage ni re-livraison de code. Point important, ces règles s’appliquent aussi bien aux progiciels qu’aux développements spécifiques. Problème : ces règles sont souvent abstraites, peu parlantes pour les experts métier et les maîtrises d’ouvrage.

La solution que nous proposons est simple et rapide : au lieu de règles, l’urbaniste fournit aux équipes projet un questionnaire de points de précaution, exprimés en termes métier. Exemple : est-il possible de modifier l’identifiant d’un client sans perdre l’historique des échanges avec ce client ? Pour déployer la solution sur une nouvelle filiale, est-il possible d’ajouter une nouvelle langue sans faire appel à l’éditeur du progiciel ?

Comme on le voit, les questions sont précises, conçues pour appeler une réponse rapide et simple : par oui ou non. Chaque réponse négative identifie immédiatement un risque de rigidité, un écart par rapport à des bonnes pratiques, dont l’impact peut être immédiatement évalué par l’ensemble des parties. Les points de précaution incontournables sont priorisés d’un commun accord, en fonction du métier et des perspectives d’évolution de celui-ci : intégration de nouveaux partenaires, déploiement plausible à l’international sous 3 ans… Conséquence logique de la démarche, l’urbaniste peut aller jusqu’à exercer un droit de veto lorsque ces points ne sont pas traités de manière satisfaisante.

En pratique, nous avons pu vérifier sur le terrain que le questionnaire permettait de hiérarchiser des progiciels entre eux, et par conséquent de discriminer les moins agiles. Bien entendu, il ne s’agit que d’un élément supplémentaire de choix, mais qui contribue à objectiver la décision finale.

Quelles compétences pour l’urbaniste ?

On le devine, cette approche transforme le rôle de l’urbaniste. De donneur de leçons, il devient fournisseur de  conseil : il apporte un éclairage complémentaire, parfois décisif, sur des choix structurants. Son apport est  reconnu, facilement accepté, et contribue à valoriser la fonction.

Pour arriver à remplir ce rôle, il est souhaitable d’avoir une expertise en modélisation et en fabrication de logiciel. Des connaissances métier sont également utiles pour traduire les règles de conception en points de précaution spécifiques au contexte. Il arrive de trouver dans des appels d’offre des questions formulées ainsi : le progiciel est-il multi-devise ? Bien entendu, l’éditeur répond oui. Dans le détail, même dans des domaines métiers aussi banalisés que la comptabilité, le traitement multi-devise varie d’un progiciel à l’autre. L’urbaniste est là pour affiner la question : le progiciel permet-il à un client de régler dans plusieurs devises, d’être titulaire de plusieurs contrats dans des devises différentes ?

Ne rêvons pas : le droit de veto de l’urbaniste n’est pas pour demain. Rares sont les urbanistes à disposer de budgets autonomes, d’équipes de conseil opérationnel à même d’apporter un support aux équipes de projet. Ce que nous proposons ici n’est qu’un modeste petit pas vers un renforcement légitime de l’autorité de l’urbaniste.