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En quoi se différencient les approches PPM vis-à-vis du risque

En quoi se différencient les approches PPM vis-à-vis du risque

24 septembre 2019

– 6 min de lecture

Karl Berard

Consultant Pilotage Projets & Produits

En cette période de crise épidémiologique et de confinement, les approches PPM apportent chacune leurs qualités pour affronter les risques. Mais comment se distinguent-elles ?

Risque, incertitude, responsabilité : des visions distinctes selon deux approches

Les circonstances de la crise sanitaire actuelle, sont une occasion pour nous, professionnels des projets, d’être interpellés sur la dimension gestion des risques qui nous est essentielle. Comment est-elle appréhendée selon les approches Traditionnelle et Agile de gestion de produits, de projets et de portefeuilles ? En quoi ces approches sont différentes l’une de l’autre ?

Que l’on fasse cette observation au niveau opérationnel des projets ou au niveau de la supervision du portefeuille des projets, on constate que leurs notions « d’incertitude », de « risque », et de « responsabilité » les déterminent et les distinguent à la fois.

Que l’on parle d’une approche cycle en V, Cascade ou Stage/Gate applicable aux projets elles sont rattachées à une vision traditionnelle de la gestion qui se caractérise par une forte exigence d’anticipation des événements par la planification et le contrôle. A contrario, l’approche Agile est par définition une réponse à l’incertitude grandissante à laquelle font face les projets et portefeuilles de projets. Pour y parvenir, parmi les principes inscrits dans le manifeste Agile, on retrouve l’adaptation par rapport au plan et l’autonomie de décision. Cette posture d’adaptation aux circonstances implique celle de l’aptitude à agir en réaction aux événements et changements qui surviennent dans le déroulement des projets et des produits. Mais, face à la crise sanitaire du Covid-19 et à ses implications à la fois économiques, politiques et sociales que proposeraient ces approches en termes de traitement des risques ? La probabilité de la mise à l’arrêt de la société civile est allée grandissante en moins de deux mois, jusqu’à devenir une réalité aujourd’hui.

Un modèle du risque proactif ou réactif pour y remédier

Si nous sommes tous familiers avec la définition et les modalités classiques de gestion des risques, ce sont les divergences de considération de ce processus de gestion selon ces deux approches qu’il est intéressant d’analyser.

Classiquement, avec l’approche traditionnelle, l’identification, la qualification et la réduction des risques participent de la planification et du pilotage des projets et portefeuilles. Il est essentiel de s’appuyer sur une base de risques déjà identifiée et d’une taxonomie des risques la plus ouverte possible tout en étant spécifique à l’activité de l’entreprise. L’expérience vécue par la Chine et observée pendant les premières semaines de l’année a pu servir de référence à de nombreux chefs de projets pour deux raisons. Elle a relevé progressivement la probabilité de l’épidémie à son niveau maximum pour devenir la réalité que l’on connait. Mais, elle a aussi servi de modèle pour figurer et projeter les impacts de son expansion à un point que personne n’avait encore imaginé. La maturité de chacun face aux risques a donc permis d’atténuer les effets de la criticité de ceux identifiés à mesure que l’épidémie prenait place. Les plans de charge des projets et des portefeuilles ont été révisés et les calendriers aussi.

Pour ce qui est de l’approche Agile, la notion de risque est plus difficile à isoler, puisque son esprit pousse à la réactivité face aux événements. Sans intention d’anticipation dans les projets et les portefeuilles et la continuité de services des équipes produits, le parti pris est celui de traiter des problèmes par l’adaptation des méthodes et des livrables au fil des itérations sans que cela n’en dégrade la qualité, qui constitue son principal levier de décision. En l’absence de culture du risque, les acteurs des équipes Agile s’en remettent plus à l’intuition du groupe qu’à la raison des experts. Qu’en est-il lorsque un à un les membres de l’équipe deviennent indisponibles pour raison médicale ou privée ? Enfin les pratiques rigoureuses de cette approche se retrouvent mises à mal par la perte de l’unité de lieu des acteurs imposée par le confinement et le recours au télétravail. Le leitmotiv du « time to market » pour satisfaire le client est momentanément inaccessible. 

La gestion du risque : extension de la responsabilité

La gestion des risques se définit par son exigence d’anticipation des événements pouvant faire obstacle aux objectifs visés. Pour ce faire, il faut convenir d‘hypothèses de réduction de son occurrence et de ses effets qui peuvent prendre la forme de contingences retranscrites dans la planification. Tout le travail des responsables tient à identifier, qualifier et envisager ces mesures de réduction en adéquation avec les moyens à leur disposition. 

Dans le cas de l’approche classique, la responsabilité de la culture du risque est portée par la ligne managériale, puisque par délégation, il est du ressort du chef de projet de concevoir et d’animer la trajectoire du projet qui vise le résultat dans les termes annoncés au client. Cette forme de déclinaison de la prospective à l’exercice de la planification s’appuie sur la production de scénarios liés à des opportunités et à des risques auxquels des hypothèses de « survenue » sont associées. Lorsque cet exercice est entretenu tout au long des projets, il implique à son tour une révision régulière pour ajuster les hypothèses en privilégiant le levier de pilotage dominant : le temps, le budget, la valeur client. Reste qu’une telle démarche est très consommatrice de temps et se retrouve, dans les faits, incompatible avec l’accumulation des fonctions des chefs de projet. Néanmoins, dans les circonstances actuelles, la coordination des différentes activités et des prises de décisions, de plus en plus souvent réalisée à distance, ne souffre pas de la mise en place du télétravail comme solution de continuité des activités même si les contingences déterminées à l’engagement des travaux ne seront pas suffisantes.

A l’inverse, dans le cas de l’approche agile, la responsabilité est collectivisée au niveau de l’équipe. Les membres de l’équipe mis en situation d’autonomie basée sur la confiance, se retrouvent porteur chacun d’une part de responsabilité. Cette dernière intègre les considérations de l’incertitude, des évolutions de l’environnement interne et dans une moindre mesure externe. Cependant pour exercer cette responsabilité, c’est par leurs interactions en face à face que leur crédo « on fait avec et la vie continue » leur permet d’assumer et de résoudre les problèmes rencontrés. Dans les circonstances actuelles, le mode projet agile résiste bien de par sa capacité à gérer le chaos, au moins tant qu’il n’est pas rendu inopérant par trop de bouleversements.

Les 2 approches résistent à la crise

En fin de compte, aucun des deux modèles n’est pris en défaut. Si l’un privilégie l’anticipation des opportunités et obstacles à la planification en se donnant les moyens de les réduire, et si l’autre est focalisé sur la capacité à délivrer quelques soient les circonstances sans se préoccuper de prévoir des contingences. Ces deux modèles sont à même de faire face à des événements imprévus. 

De son côté le Bureau des Projets compose son propre modèle de gestion de produits, de projets et de portefeuille. Historiquement géré en approche traditionnelle, il adopte quelques éléments des pratiques agiles « façon puzzle » (comme l’effort de développer l’autonomie ou la capacité à innover). Sans reprendre suffisamment les principes des approches dont il s’inspire, pour causes de manque de moyens, de temps, de conviction ou d’appui de la Direction, le bureau projet se contente de mettre en place quelques rôles, artefacts et cérémonies. Mais dans ces conditions sa transformation échoue à interpréter le changement de paradigme qu’elle recherche. Parce que, l’interprétation du traitement des risques dans toutes ses dimensions n’en deviendra ni cohérente ni complète. A qui la faute ?

Globalement, on peut donc être rassuré. Ces deux approches de gestion de projets et portefeuille projets peuvent faire face chacune à leur manière à la crise actuelle, comme les Etats le démontrent à leur niveau. La Chine a pris le parti de la planification de mesures jusqu’à effet complet. Tandis qu’en Europe et notamment en France, la résolution est préférée en réactivité aux constats avec des consignes révisées au fil des itérations de plus en plus rapide à mesure que les faits s’accélèrent. 

Dans ces conditions, quel que soit l’approche choisie, il faut convenir qu’il est essentiel de développer collectivement et individuellement une culture du risque aussi légitime que le sont celles de la qualité ou de la valeur client. Elle est indispensable face à l’incertitude grandissante de nos sociétés qui perd jours après jours son insouciance.